Pour vous mes élèves, je place dans l'ordre chronologique décroissant (du plus récent au plus ancien) mes textes sur l'admirable artiste Jean Louis Murat. Artiste à découvrir absolument à mon avis, et tant mieux si ces textes vous y incitent, et tant pis si non.
25 mai 2023 - Deuil
Jean Louis Murat est mort. La nouvelle terrible est tombée ce matin et depuis nous sommes hagards. Il est mort en étant vivant alors que d'autres vivent en étant morts.
Vivant artiste, vive œuvre, en constante évolution, en permanente exigence, et c'est pourquoi ça fait encore plus mal. Le poète rongeait son os, comme l'artisan remet cent fois, mille fois, le travail sur le métier... Métier de mulot.
Il lui restait tant à écrire et à chanter... Il est difficile d'écrire bien en étant hagard. Mais c'est une certitude que Jean Louis n'avait pas tout dit...
Je lis et relis les réactions, les articles et je m'aperçois que je ne suis pas seul, ce que je savais grâce à Pierrot. Mais tout de même notre tristesse commune ne me réconforte guère.
Souvenirs de concerts, tous toujours différents. Radicaux. Radicalement différents : que c'est bon.
Souvenirs de quelques propos échangés, simples et posés, qui tranchent tant avec l'image du furibard des plateaux qu'il s'était forgé.
Je me noies dans les mélodies et les mots (avec un peu de whisky tout de même) : j'ai un ressenti "Montboudif"... Les larmes aux yeux, la gorge nouée, je m'interroge : demain, paraitra son Best Of, lui qui s'y était toujours opposé, et avait finalement accepté... On peut ne pas croire au hasard et faire semblant de penser avoir tort, ou inversement. Coïncidence ou non, il part sur une énigme, quand tant d'autres vivent avec leurs évidences.
Nous remettrons nos pas dans les siens. "Je marchais dans la montagne en ce joli mois de mai..."
2020 : Baby Love.
Titre ambigu. Amour qui s'en va (surtout), amour qui vient (peut-être). Murat sort un disque. Évènement. Annuel. Quand même...
Écoute la musique de ça : "Aux sources de la Loue/ je ne sais quoi j'attendais / Sans doute le début du monde/ Troubadour rêvassait/ je ne sais quelle mélodie / So long" (Si je m'attendais)
Merde, le mec est un tueur. Première écoute... sceptique. Et puis la musique explose: des guitares partout mais dans les recoins de la rythmique. Stax! Shit!Même quand l'évidence mélodique n'est pas là, l'évidence musicale y est.
Et surtout la qualité de l'intention. En gros, l'histoire est celle d'un mec qui se sauve du désamour par la chanson ce "métier de mulot". Écouter, donc "Montboudif", "ça c'est fait", "si je m'attendais", "La princesse of the cool", "réparer la maison"... ça aurait pu s'appeler Alcools... Je crois. On sent aussi que "Travaux..." a été un travail fondateur. Là des sons, des machines et des idées ressurgissent de cet album de non-chansons qui a tant dérouté : il était porteur de trucs je l'ai déjà écrit. Et c'est bien. Voilà. Ça c'est fait.
16 octobre 2019, centre culturel Georges Pompidou, Vincennes...
Début de la nouvelle tournée de Jean Louis Murat, qui fait suite à celle de l'an passé, celle d'Il Francese, qui a donné lieu à enregistrement "Live" (Innamorato)... Je n'ai pas mon diplôme en muratologie et je ne compile pas les set-lists quotidiennes comme autant d'éléments de preuve à charge ou à décharge. Je suis simple spectateur passionné.
On passe d'abord devant l'éternelle Jocelyne que l'on va saluer. La salle est comble et semble moins glauque que l'entrée déprimante du bâtiment ne le fait préjuger. Chacun y va de son pronostic sur l'humeur de Jean Louis Murat : va-t-il encore bougonner et râler? L'audience sera-t-elle réceptive?
Ma question à moi, c'est : quelle nouveauté sera l'objet du concert? J'avais été frappé au "café de la danse" en décembre 2018 par la justesse musicale de la formation. Le son était porté par la batterie de Stéphane Reynaud, fine et puissante et la basse agile de Fred Jimenez. Murat était essentiellement à la Télécaster et c'était très bon.
Ce mercredi soir 16 octobre on retrouve cette formation. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'elle sied à merveille à Jean Louis Murat. Ces trois-là jouent ensemble depuis très longtemps, cela se sent et c'est très soudés qu'ils déploient leur musique. C'est un GROUPE et c'est cela qui m'impressionne ce soir. Pour varier ses plaisirs et parce que c'est son bon plaisir que de changer quelque chose, Murat a troqué l'électrique Fender pour une guitare électro acoustique 12 cordes.
Dès le premier morceau, "Kids", on se sent pris par une vraie magie, l'art de transformer et de réorchestrer pour trio des chansons enregistrées dans un environnement bien plus complexe. C'est l'art de Murat de savoir désosser les chansons d'en retenir la substantifique moelle et d'en proposer d'éternels recommencements. On est vite rassuré sur l'ambiance : il est de bonne humeur et le public est prêt à s'embarquer et y trouve du plaisir.
Les trois compères se trouvent facilement : si JLM est leader, c'est sa musique, ce sont ses chansons, il est clair que les deux lascars qui l'accompagnent sont partie prenante du projet : Les lignes de basse sont puissantes et musicales, la batterie est imparable, nette d'une précision diabolique. Nous aurons droit à l'harmonica sur quelques merveilles : l'envoûtant "Je me souviens", le superbe "voyageurs perdus" (Tristan, 2008, dont il joue aussi "Tel est pris" façon rock). Entre-temps "Hold-up" est passé par là, "Cinévox" aussi (seule fausse note dans l'arrangement raté, à mon avis) et ainsi que "Gazoline". Des extraits de Morituri bienvenus : "Tarn et Garonne", "French Lynx" très réussis. "Over and over", et "Agnus dei Babe" de Toboggan.
Un final très décontracté avec des inédits pour s'amuser, les morceaux qui vont rythmer la vie de la tournée, rompre la monotonie des soirs recommencés : avec JLM pas trop de risques, il déteste ça, semble-t-il refaire le truc.... On ressort de là ravis, après des applaudissements chaleureux, et trois musiciens semble-t-il heureux aussi de la tournure des événements.
Et je me repose la question : qu'est-ce qui le tient, si haut, si exigeant? Chut, tais toi ("tais toi tais toi...") donc, écoute. Au fait un nouvel album est annoncé pour février!
Novembre 2017 En quête.
A l'heure de l'énième écoute de Travaux..., me viennent ces quelques lignes inspirées des souvenirs d'un concert de la tournée "Babel".
Au sortir de ce concert parisien de novembre, au New Morning, la question semblait évidente : qu’est-ce qui pousse Murat ? La réponse aussi : ça ! Ce que nous venions de vivre, voir, entendre, sentir : un beau concert unique.
Ce soir-là, dans cette salle dont le mythe n’est plus à redire – mais le choix d’une telle salle n’est pas innocent – ce soir-là donc, hormis quelques méchancetés finalement convenues, sur les statues de commandeurs (Souchon-Voulzy pris comme un seul être, Aznavour, Faithfull, Jagger ou Trenet) Jean Louis Murat, avait donné ce qui le tient : une musique forte, une présence vraie, voire incandescente.
La voix poussée dans ses retranchements, le groupe, d’abord derrière, poussé devant, puis en fusion avec le chanteur, les improvisations : un concert pour amateur de sensations.
Me revenait alors l’incroyable performance de l’année d’avant en duo guitare-batterie : c’est une évidence : pour JLM le concert est un instant à vivre et non une machine à cash, une routine de baloche.
Mais alors pourquoi cette posture à s’en plaindre et à souhaiter la fin du parcours dans ce « métier de merde » ? Qu’est-ce qui pousse Murat ?
Nous souhaitions comprendre et pour cela replonger dans les chansons. Ne pas s’arrêter aux interviews « peep-show » comme il les avait nommées lors du set, mais revenir à l’œuvre car ce n’est pas trop dire que de parler à l’égard de la somme muratienne, d’une œuvre.
Oublier le rigolo de mauvaise humeur, le solitaire auvergnat qui monte à Paris pour y faire un show attendu sur des plateaux TV où les animateurs ne manqueront pas de susciter le scandale de tel ou tel propos, de telle ou telle humeur. Car ainsi marche la machine ; Non, ce qui nous tient c’est la question : qu’est-ce qui pousse Murat vers cette exigence scénique, vers cette prolifique discographie, vers ces chansons-fleuves où l’on se noie, ces forêts de sons où l’on se perd, parfois, avec délices, ou plus perversement avec effroi... ? Il nous fallait dans ces chansons, dans cette jungle de mots, trouver qui était le troubadour, de quel bois il était fait...
Troubadour : C’est le titre d’un album de feu JJ Cale, avec qui Murat possède plus d’une ressemblance. Même solitude affichée, même mépris pour le jeu du spectacle, même amour de la guitare. Mais l’image n’épuise pas le bonhomme…
Le nouvel album Travaux sur la N89 est l’occasion de revenir sur cette quête tant, à l’évidence, il est lui-même au cœur d’un questionnement sur l’art d’écrire (« de la chose infernale comment faire une chanson ? »). Si "Travaux..." nous perd souvent et nous déroute c'est que, comme pour un Neil Young, par exemple, le chemin de Murat n'est pas rectiligne. Et sa sinuosité est passionnante... A suivre…:
2017 : Murat, attention aux travaux!
Donc, le nouveau Murat, attendu comme un événement parce que tout de même les derniers étaient de grandes réussites. (On met au défi quiconque d’aligner en si peu de temps des albums de la qualité de la série : Le cours ordinaire des choses – Grand lièvre – Toboggan – Babel – Morituri… )
L’ambiance un peu délétère dans laquelle était plongée l’annonce de l’absence de tournée après Morituri amplifie le désir des retrouvailles. Le teaser et les premiers bruits sont excitants : On ne sera pas en terrain connu et Murat est en chantier ! C’est fait, objet acheté… Qu’en est-il des travaux ?
OVNI de prime abord. Rien d’entendu nulle part… Et pourtant rapidement apparaît l’évidence… On est bien en terre muratienne. Quelques lignes mélodiques imparables disséminées tout au long de l’album entretiennent l’attention et l’espoir d’une chanson au format traditionnel, qui ne viendra pas… : l’intro de « Dis-le le », celle de « Garçon », « Alamo » sont somptueuses et annoncent des tubes potentiels…. Avec « Le chat », « Quel est le problème Moïse ? », « Travaux sur la N 89 » des sons de tous genres nous rappellent que Murat s’est plus souvent que beaucoup d’autres fréquemment remis en question par la recherche de nouveaux territoires. Et que la chanson peut mêler les formes : en l’occurrence pop, blues électro, chansonnette… « Cordes » est un exemple de voyage à l’intérieur des chansons de leurs multiples ambiances. Idem pour « Dis-le le » absolument envoûtante.
Il y a donc de superbes moments en effet, d’agaçantes et frustrantes ruptures qui conduisent à revenir à ces passages. Métaphore du zapping perpétuel de nos sociétés ? Finalement c’est une forme de boucle qui se construit : et si écouter l’album en mode repeat était la solution ? Dans les paroles certains mots nous rappellent bien l’univers habituel de JLM : « Coltrane », « Travaux sur la N89 » ( et son superbe piano d’intro, si brève l’intro…) ou encore « La vie me va ».
Qui connaît Murat en concert ne sera pas surpris de voir le chamboulement car enfin, il a toujours cassé les codes et envoyé valser la bienséance de concerts formatés se ressemblant au risque de l’effroi du spectateur-auditeur venu entendre les tubes radios : Muragostang en est le meilleur exemple, mais pas l’unique. La tournée en duo guitare batterie, superbe réussite, témoigne, elle aussi, d’une capacité hors norme à tout bouleverser.
Paradoxalement, cet album si peu évident à écouter nous invite à la réécoute et agit par strate. Des lignes de basses, des nappes, des moments aériens, d’autres bien plus terriens, nous ramènent à l’évidence du talent mélodique de l’auteur. Et nous invite à dire « Encore ! » PS : Nouvelle écoute : A l’évidence il y a de vraies chansons majeures : « Dis-le le » (je sais, j’insiste), « Coltrane », « Garçon », "Chanson de Sade" s’inscrivent dans la lignée des grandes chansons de JLM sans aucun problème !
2011 : homme seul perdu de vue
Je ne suis pas dylanologue, muratien, expert es homme chantant. J'ai passé l'âge d'être fan ce que je n'ai d'ailleurs jamais aimé-assumé d'être. T'as déjà fait la queue pour un autographe bâclé de merde? Autant dire que je ne veux pas être pris pour ce que je ne suis pas à l'heure de parler du dernier opus de JLM Bergheaud - pardon, Jean Louis Murat. D'autres seront plus légitimes pour en discourir et analyser la chose : Bayon a chroniqué le disque hier ou avant hier dans Libé, qui est le seul quotidien à faire place à ce disque en deux pages. Si après ces précautions de délégitimation vous lisez ceci c'est que vous l'aurez voulu.
Je ne suis pas muratien ni fan en mode transi, juste auditeur passionné d'un auteur prolixe que j'estime admirable (digne d'être admiré).
Admirable indépendance, faisant fi des modes courants et temps de l'industrie musicale, sort son disque annuel juste parce qu'il écrit des chansons et les enregistre!
Admirable régularité de qualité d'écriture. Oh, certes, il n'évite pas la répétition, parfois, mais la cohérence est à ce prix, de redire la même chose toujours et encore (toujours le même t'aime disait Gainsbourg.)
Admirable musicalité du timbre et de l'intonation, de phrasé...
Bon voilà j'aime bien mais encore?
L'homme seul perdu, qui se retient mais qui aime à se vomir parfois, qui répand sa médiocrité et son exigence tout à la fois, sa peur et son arrogance en même temps, la nature et la culture, le primitif et le policé des moeurs...
Le versificateur capable d'écrire, Verlaine, Baudelaire, Rimbaud et Blondin, les chants passés, les champs et les prés, et Bahamontès.
La chanson semble sans fin parfois, revient d'un album à l'autre par une intonation et un phrasé, qui n'est rien moins que la mise en dehors d'un rythme intérieur : écouter la manière de chanter :"En détail d'une journée / Voilà les derniers moments", rythme que l'on entend dans de multiples albums gage de sincérité plus que d'une marque de fabrique.
S'arrêter au bord d'un chemin, en haut d'une colline, regarder au loin et au près; sentir la rosée sous nos fesses mouiller nos jeans délavés. Et pleurer de joie devant tant de beauté et ce qu'on est capable d'en faire. Boire un verre de rouge, un pinot qui prend le goût de la terre d'où il est né, au soir, une table en bois sous nos coudes élimés. Se taire et rire enfin ou pleurer selon ce que le feu de la veillée et le goût du vin nous aurons dicté.
J'aime que quelqu'un puisse dire :
"Je voudrais me perdre de vue ... dans une absence congénitale ... dans un simple chant de berger";
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